Carnet d'auteur de Gobbit

Gobbit, OldChap et la collection table rase.

Pour resituer le contexte, en 2011, Thomas, Paul-adrien et moi même, venions de fonder OldChap Editions, avec pour but premier d'auto-éditer les jeux que nous étions en train de créer. Cela faisait quelques années qu'on écumait les festivals de jeux, découvrant par là même un milieu qui se résumait alors pour nous à Elixir, Catane, Munchkin, Jungle Speed, Loup Garou et quelques autres jeux qui constituent la surface d'un océan ludique dont nous ignorions tout. Parmi toutes nos créations, la plupart souffrait du manque de savoir-faire des débutants. Mais une ou deux idées étaient en revanche, efficaces et originales et comme nous étions envieux de bosser tous ensemble, plutôt que de faire éditer ces idées, nous avons décidé de créer OldChap et de lancer une gamme de petits jeux d'ambiance : la collection table rase, histoire de commencer simple et pas cher...

Alors que nous bossions sur notre premier jeu, Rimtik, un jeu d'ambiance dans lequel les joueurs sont invités à déclamer des mots à toute vitesse en les faisant rimer ou non selon les conditions imposées par les cartes jouées, nous planchions déjà sur le jeu suivant de la collection. Nous avions décidé de construire cette gamme autour d'animaux mascottes (les animaux peuvent être une grande source d'inspiration). Nous étions en train de chercher à faire un jeu de réflexe dans lequel des animaux chercheraient à se nourrir tout en évitant le danger, et ce parce que nous avions observé quelques jours auparavant avec une grande curiosité mêlée d'amusement, les dilemmes de mouettes cherchant à attraper des morceaux de pains proches de nos pieds, leurs mouvements, régis par des instincts contraires, étaient fort cocasses. À l'époque on voulait également introduire le thème de la chaîne alimentaire dans un de nos jeux. Dans les prototypes que nous étions en train de réaliser, les mouettes étaient donc devenues des caméléons cherchant à manger des mouches et à fuir les serpents. Nous avions les cartes mais pas de jeu. Dans les premiers tests, on faisait défiler les cartes au milieu et selon ce qu'on avait on tapait dessus ou se défendait. C’était assez faible comme gameplay mais un début de sensation était là.

Le déclic est venu d'un coup, alors que je jouais avec Paul-Adrien par un soir d'été, l'un de nous proposa d'arrêter de mettre des cartes au milieu mais de les faire défiler devant soi en s'attaquant ou en se défendant selon le couple proie-prédateur visible. Ce fut la claque. Nous étions dans un état d'euphorie tant ce cœur de gameplay était parfait. Ni une ni deux nous nous rendions chez Thomas et commencions à enchaîner les parties et les fou rires. Les sensations de lancer la langue du caméléon quand on tend son bras, le fait de devoir distinguer des réflexes d'attaque de réflexes de défense, la sensation d'écraser ses cartes quand on se trompe, tout était parfait. A partir de là, le travail d'édition et de perfectionnement du jeu a commencé.

En parallèle de cela nous sortions Rimtik qui a définit les bases la collection table rase : il fallait que les jeux fasse 48 cartes, soient jouables de 3 à 6 joueurs environ, que les parties fassent 10 minutes, qu'il soit possible de remonter une situation difficile, que tout le monde puisse jouer en même temps, que tout le monde joue tout le long de la partie, que le jeu présente un animal « mascotte », qu'il y ait des variantes expertes en utilisant le dos des cartes, et qu'il faille parfois taper sur un tas central en criant le nom du jeu. Un certain nombre d'éléments, parfois anodins, parfois essentiels, qui nous ont inspirés dans l'édition autant que contraints.

Les fameux esprits frappeurs par exemple, qui permettent aux joueurs éliminés de continuer à s'amuser, sont une évolution positive née des contraintes que nous nous étions fixées. Au départ, le cimetière était récupérable, les parties duraient des heures. Le fait qu'il ne puisse être qu'alimenté et la présence des gorilles pour accélérer son remplissage sont également des règles essentielles qui sont nées de la volonté de respecter notre charte. Enfin, la règle du « Gobbit ! », est également née de ces contraintes. Au final, toutes ces idées ainsi que les centaines de test et de réglages sur les proportions et les petites règles nous ont permis d'aboutir à une petite perle qui deviendra notre jeu « star ».

La première édition du jeu, naît donc dans la collection table rase, une petite boite kangoroo, à 12€, avec des illustrations très fun réalisées à l'époque par Nicolas Fumanal qui aura travaillé avec nous sur toute la collection. Le jeu sort et nous commençons un partenariat avec Paille qui nous permet de nous installer très correctement dans les boutiques spécialisées.

Gobbit, un jeu simple mais plein de richesses.

Depuis la sortie de Gobbit, et quelque soit l'édition en cours, nous n'avons cessé de le faire jouer en festival. Le jeu faisait assez régulièrement un tabac, notamment à Parthenay, au FLIP où des hordes de jeunes fan prenaient plaisir à s'affronter dans des tournois dantesques, inventaient leurs propres variantes experts et nous couvraient de fan arts. Un enthousiasme bienvenu car il nous a permis de nous rendre compte du potentiel compétitif de Gobbit. Nous avons donc essayé de le stimuler en organisant des tournois à grande échelle, notamment avec la Gobbit Cup, où les participants gagnaient des points pendant des tournois partout en France et finissaient sur un classement global.

À partir ce ce moment là, nous avons commencé à créer des jeux autour du jeu. Outre les règles de tournoi, nous avons installé en festival un système de bracelets reflétant le niveau des joueurs et leur offrant l'opportunité de se défier pour obtenir de meilleurs bracelets. La volonté de faire vivre Gobbit à l'échelle d'une communauté de joueurs était réelle de notre part et encore aujourd'hui nous nous creusons la tête pour savoir quelle est la meilleur manière d'organiser des tournois et quels sont les meilleurs événements à mettre en place autour de Gobbit lors des festivals.

De ces match ultra compétitifs sont nées des techniques que nous n'aurions jamais imaginées au départ et dés lors, en plus des règles de Gobbit, une « méta » (manière de jouer) s'est mise en place, nous obligeant par ailleurs à revoir certaines règles pour éviter certains abus que nous n'avions pas prévu initialement. Ainsi, lorsque vous lisez les règles la première fois, rien ne vous empêche de frapper un « Gobbit !» avec la même main qui retourne une carte, en revanche, les joueurs de tournois savent que c'est interdit.

C'est une période durant laquelle nous réfléchissons également encore beaucoup aux règles de Gobbit dans l'éventualité de les faire évoluer dans les reprint. Nous modifions par exemple les conditions de fin de partie (on remplace une règle assez lourde obligeant un joueur à mettre de cartes de côté par quelque chose de beaucoup plus simple : la partie s'arrête à la première défense d'un joueur devenu le seul à tirer des cartes). Le plus dur dans la conception des règles de Gobbit est de ne pas oublier qu'il s'agit d'un petit jeu d'ambiance, alors travailler des mini points de règles qui n'ont d'impact que dans la finale de la Gobbit Cup peut sembler un peu inutile. C'est pourquoi nous cherchons systématiquement la règle « élégante », celle qui à la fois parait simple et intuitive et qui en même temps résout un maximum de mini problèmes à haut niveau.

Pour l'anecdote, l'éditeur peut mettre ce qu'il veut dans un livret, il finira toujours pas rencontrer des joueurs qui jouent à la lilloise, à la toulousaine ou à la nantaise, et ces joueurs vous expliqueront droit dans leurs bottes que, ah oui, oui, ce sont les vraies règles, ils sont formels. On s'étonne de voir ces variantes étranges apparaître ici ou là mais on se réjouit de constater que les gens s'approprient le jeu qu'on a créé.

Gobbit, la seconde édition, vers plus d'accessibilité.

Au bout d'un an ou deux, alors que Gobbit s'est installé et fonctionne bien, nous commençons à nous poser des questions sur la stratégie commerciale d'OldChap. Concernant la collection table rase, nous venons de sortir Onk-Onk, jeu de rythme et observation très bien construit mais qui peut décourager certains joueurs. Commercialement, Gobbit se distingue tellement des deux autres jeux que nous abandonnons la stratégie de gamme, d'autant que les contraintes de la collection table rase commencent à devenir des poids plus que des moteurs créatifs.

Dés lors, nous ne cherchons plus à alimenter la gamme mais plutôt à éditer les jeux indépendamment les uns des autres et à développer le réseau de distribution de Gobbit qui n'est présent alors qu'en boutiques françaises. Pour ce qui est de trouver des nouveaux jeux, une longue traversée du désert commence, nous pensons éditer plusieurs jeux puis nous nous rétractons, ayant du mal à aller jusqu'au bout de l'édition d'un jeu quand on commence à douter ou quand on a l'impression qu'il ne colle pas à l'esprit OldChap. Quelques auteurs ont fait les frais de nos hésitations, ce qui nous conduit à revoir la manière dont nous signons les jeux afin d'éviter ce genre de désagréments par la suite.

D'un autre côté, pour développer les réseaux de ventes de Gobbit, Nous confions la distribution de Gobbit à un nouveau distributeur : Morning. Il aura pour mission de développer les réseaux étrangers et les GSS françaises, Paille conservant de son côté la distribution de Gobbit en boutique spécialisées. Commence alors une nouvelle phase de création pour Gobbit, puisque nous pensions alors, forts des conseils de Morning, que pour s'implanter en grande surface, il fallait d'une part une direction artistique plus épurée pour le grand publique et d'autre part un format plus grand. Nous commençons alors à imaginer un nouveau format pour le jeu avec des graphismes plus sobres. En un mot, une version du jeu plus design, avec une grande qualité : la petite boîte fourreau Magnet qui avait la classe et qui nous a permis de nous éclater en conception de produit.

Concernant les règles, nous faisons une passe pour les simplifier. L'objectif est que le jeu soit encore plus adapté au grand public. Aussi, pour ceux qui ont connu les deux versions de Gobbit, ils auront pu constater que la règle du « Gobbit ! » a reçu un coup de balai, elle est plus simple et génère plus de fun. Les gorilles quand à eux voient disparaître leur couleur et deviennent des cartes spéciales. L’objectif : les sortir de la chaîne alimentaire et simplifier grandement l'explication du jeu. On profite de l'occasion pour instaurer dans le livret de règles une progression en deux temps. D'abord la partie d'initiation sans certaines règles spéciales et ensuite le mode normal. L'objectif est de conserver la richesse du jeu tout en mettant l'accent sur l'accessibilité. C'est toujours délicat de proposer plusieurs modes de jeux car on a peur que les joueurs s'y perdent. C'est pourquoi on se contente des trois modes suivants : initiation, mode normal, mode expert. L'initiation est clairement pour les premières parties ou les enfants, et le mode expert est une variante pour rajouter du piment. Mais le mode normal est le seul mode officiel.

Qui dit nouvelle version dit également que c'est l'occasion de retravailler les variantes experts. Certaines ne nous plaisent pas, nous les remplaçons par de nouvelles variantes, c'est une manière aussi de signer le caractère unique d'une édition. Le jeu sort en 2016. Dans le même temps, Antonin Boccara signe chez nous le futur Panic Island et rejoint également notre équipe. La sortie de Panic Island marquera un renouveau de l'édition chez OldChap.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Après un an et demi de travail avec Morning, nous constatons que notre partenariat ne fonctionne pas. Comme la collaboration ne porte pas ses fruits et pèsent sur les deux partis, nous décidons d'un commun accord de l'interrompre, en septembre 2017.

Gobbit, troisième édition, la synthèse

Depuis, nous travaillons sur une nouvelle version de Gobbit. La seconde version était moins appréciée par le public, nous espérons avoir appris de nos erreurs pour celle ci. Le jeu revient donc quasiment à son format d'origine (petite boite carton) et se voit débarrasser de son suremballage (qui, il faut bien l'avouer, ne nous emballait pas trop non plus). Une des conséquences est que le prix baisse. Par ailleurs, conscients qu'un jeu fun mérite des illustrations fun, nous faisons appel à Michel Verdu, qui vient de travailler sur le Panic Island dont nous sommes hyper satisfaits et le résultat est à la hauteur de nos espérances...


Nous en profitons également pour nous demander s'il y a des choses à modifier dans les règles. La nouvelle règle du « Gobbit ! » fonctionne bien, nous la gardons. Les nouveaux gorilles sont très bien pour les débutants mais les fan OldChap, ces infatigables écumeurs de tournois Gobbit, ceux qui possèdent toutes les versions, toutes les cartes goodies, tous les posters signés, ceux là aiment la règle des gorilles de couleur. Alors s'ils sont observateurs, ils remarqueront que les cartes gorilles de la prochaine version permettent également de jouer avec la règle de la V1. Les variantes expertes changent à nouveau pour ne garder que le meilleur de la V1 et de la V2, nous retravaillons les proportions pour qu'elles soient plus proches de la V2. Zn un mot, nous essayons de faire une synthèse et de garder le meilleur des dernières versions, le tout avec des illustrations éclatantes.

Pour finir, il faut savoir que cela fait un certain temps que nous cherchons un moyen de renouveler l'expérience de Gobbit par des extensions. Jusqu'alors, nous nous étions contenté de cartes goodies, toutes les idées que nous avions eues pour des extensions faisaient gadget ou tuaient un peu le jeu. Mais nous avons récemment trouver une nouvelle manière de jouer qui se prête parfaitement à une extension, à destination des fans de Gobbit. Mais pour ça, il faudra attendre encore un peu 😉

J'espère que vous n'aurez pas trouver ce carnet d'auteur trop long car concernant Gobbit, il y en a des choses à raconter, et encore, j'ai fait la version courte. Et je voudrais finir en disant que chez OldChap tout le monde est un peu auteur, alors Gobbit, au départ c'était Thomas, Paul-Adrien et moi, mais aujourd'hui c'est aussi Antonin et concernant les évolutions depuis des années, il faut bien avouer que nos amis et les fans du jeu, notamment les inconditionnels du FLIP y sont pour quelque chose. Alors on en profite pour les remercier, d'autant que c'est une immense joie de les voir jouer à Gobbit avec tant de plaisir.

JB